Merci d’abord à N@n@rd qui a mis l’arrêt CEDH du 12 avril 2006 à lire sur son excellent site. Lecommuniqué de presse de la Cour elle-même existe aussi. Et un rappel : ah que ici à l’Intendance Zone l’objectif il est de communiquer en "langage-élève", heu, non, en langage clair. Ceux qui trouveront mon compte rendu trop imprécis ou vraiment trop contestable pourront se reporter à l’arrêt lui-même. Mais je ne crois pas avoir fait de contresens. Pour un vrai commentaire juridique, mais attention ça demande plus d’efforts que ma prose, voir le blog de F. Rolin
En quelques mots, notre collègue Michel Martinie a été le comptable, dans son lycée à la fin des années 80, d’un "truc exotique sans personnalité juridique" pour supporter une activité sportive relativement ambitieuse (centre national d’entraînement à la Pelote Basque).
Erreur fatale, l’ordonnateur et le comptable du machin en question ont perçu des indemnités pour le travail accompli (on ne leur avait pas vanté les mérites du bénévolat...), un peu dans le genre des IPDG des Greta je suppose. Ni une ni deux, la CRC, puis la Cour des Comptes, puis le Conseil d’Etat, ont mis le collègue en débet de l’équivalent d’une année de salaire : apparemment il n’avait pas blindé la chose avec une belle délib’ du CA. Petit message à ceux qui ne sont pas francs du collier avec les délibs du CA...
Bref, bref, finalement le ministère des Finances n’a pas été trop méchant, puisque une remise gracieuse a été accordée pour l’essentiel de la somme en 2001. Mais entretemps, notre collègue avait eu le temps de contester la procédure devant la Cour européenne des Droits de l’Homme.
Qu’en ressort-il ? Tout tourne autour de la notion de procès équitable exigée par l’article 6 § 1 de la Convention européenne des DH. L’arrêt tourne longuement autour de la recevabilité de la demande du collègue, puis en fin de compte ça passe ; on sent qu’ils ont hésité (en fait la jurisprudence de la Cour tend à exclure les cas relevant de domaines trop sensibles de la souveraineté des États ; on imagine le cirque dans le cas des militaires par exemple, mais pour un comptable public, ils ont considéré que la Grandeur de la France supporterait cette humiliation).
En fin de compte, la Cour considère que la France est en tort sur deux types de points :
1) le collègue aurait du pouvoir demander à être présent à l’audience le concernant (la Cour des Comptes travaille à huis clos sauf pour les cas de gestion de fait ou pour infliger des amendes), car il n’était pas même au courant de la date.
2) La Cour trouve contestable la position du commissaire du gouvernement et du procureur (bon là il y a un mélange de Conseil d’État et de Cour des Comptes, bref j’ai trop mal à la tête pour être plus précis), qui se baladent un peu partout comme chez eux dans le procès y compris pendant le délibéré, alors justement même que le justiciable lui n’est pas invité du tout dans les beaux palais de justice.
Notons bien que ce second point est contesté par certains des juges qui, trouvant que l’arrêt n’était pas assez long, ont encore publié à la suite leur "opinion minoritaire et respectueuse", laquelle consiste à dire qu’il faut pas déconner, ces gens-là sont des professionnels, ça marche très bien depuis 200 ans en France et on va pas obliger ce pays à changer sa législation juste pour éviter de donner l’impression qu’on pourrait vouloir influencer les juges.
En conclusion, pas de révolution pour les comptables que nous sommes, ceux qui espéraient voir arriver une jurisprudence intéressante sur la fin de la responsabilité sans faute en sont quitte pour attendre encore un peu.
Moi j’en ai retiré une impression incroyable : je suis sidéré par le montant des frais de justice dont le collègue demande le remboursement. Je les trouve extrêmement bas : 10 000 € tout compris pour la totalité de la procédure, y compris les déplacements du collègue maintenant dans l’Outre-Mer. Est-ce parce que le collègue est un très bon gestionnaire, et qu’il a su dénicher des avocats pas chers ? Ou parce que décidément depuis que je travaille en Greta je perds la notion de l’argent tellement j’en vois passer ? Sur cette interrogation existentielle, je vais me coucher.
Messages
1. J’ai lu l’arrêt Martinie, 3 juillet 2012, 21:50, par martinie...retraité
Enfin une production allégée et alléchante !
Pour info vérifiable ( eux , les pros du droit, diraient irréfragable) : la délib du CA existe belle et bien ...transmise et revêtue du visa du contrôle de légalité...
mais que ces p’tites magistrates de la CdC ont préféré...écartée
(Une première vérification de cette comptabilité 5 ans plus tôt pat la même CdC avait , sur ce point précis, admis cette délib du CA en la forme, comprenne qui voudra ? mais j’ai toujours une petite idée sur la question)
D’un atavisme limousin-auvergnat, peu sensible aux pressions de nos puissants et pardessus tout à fait revêche et résistant, comme ma grand’mère qui cachait Malraux lorsqu’il partait rejoindre DeGaulle à Londres, un p’tit détour par les publications de la CEDH m’a convaincu que cette minuscule affaire pourrait offrir un suppositoire à nos prétentieux énarques ( le grand vizir du CE s’est déplacé, avec sa Cour, devant la Grde Chambre à Strasbourg pour plaider la supériorité de notre droit national , sans même percevoir l’irritation provoquée par sa suffisance) ;
Bref , il m’a fallu attendre presque 10 ans pour 5 minutes de parfaiet satisfaction...
1. J’ai lu l’arrêt Martinie, 4 juillet 2012, 11:55, par L’intendant zonard
Flatté de ce commentaire du commentaire... et merci d’avoir secoué le "moisi millénaire" des pratiques de l’ordre judiciaire qui n’avait pas su voir l’anomalie dans ses pratiques.
Depuis, nous autres on fait du contrôle interne comptable (sinon des démarches qualité ISO 9001, dans les Greta) pour dépister les faiblesses dans nos manières de faire...