Moi, je veux vivre en théorie, parce qu’en théorie, tout va bien
Parce qu’en théorie , nous devrions appliquer la comptabilité par composants. Dans un établissement public, cette comptabilisation permet de distinguer, sur un même ensemble, les éléments qui n’auraient pas la même durée de vie utile. J’immobiliserais tous ces éléments indépendamment les uns des autres, avec des durées d’amortissement différentes, mais sous le même numéro d’inventaire.
Donc en théorie , lorsque je viendrais à remplacer l’un de ces composants, il me suffirait de le sortir de l’inventaire et de recréer le nouvel élément à sa place...
Outre bien connaître l’ingénierie de l’immobilisation dont on parle, ce qu’il faut savoir, ce sont les quatre critères [1] auxquels doivent répondre les éléments distincts pour être des composants :
- Deux critères temporels
- Avoir une durée de vie de plus de 12 mois, sinon quel intérêt de l’immobiliser ? À titre d’exemple, chaque plein de mon camion me revient à 1500 €. Je pourrais certes considérer que cette dépense dépassant les 800 € et donc... STOP !!! Et donc rien du tout ! Le carburant qu’on va mettre moins de huit heures à cramer ne s’immobilise effectivement pas !
- Ne pas avoir une durée de vie supérieure à 80 % de la durée de vie de l’ensemble... Savoir s’épargner, en tant que comptable, c’est bien aussi surtout quand la valeur ajoutée économique ou historique d’une procédure est inexistante.
- Deux critères financiers
- Coûter plus de 800 € [2]... Sinon nous ne discuterions même pas de ce sujet.
- Coûter au moins 15 % du coût total de mon ensemble s’il s’agit d’un bien mobilier, 1 % s’il s’agit d’un bien immobilier.
Voilà pour une présentation sommaire de la comptabilité par composants des actifs, mais maintenant revenons à la pratique. D’abord, il existe une instruction qui définit pour les EPLE le mode d’application de la comptabilité par composants des actifs, et celle-ci nous dit dès l’introduction que nous pouvons très largement nous dispenser de la pratiquer.
C’est un choix que les établissements devaient opérer il y a dix ans maintenant. Or les outils que nous utilisons ne nous ont pas laissé libres de choisir ! [3]. Pour reprendre les termes de l’instruction, les établissements n’ayant pas opté pour la comptabilisation par composants des actifs doivent se conformer à cette procédure :
[...] selon une approche assimilable à la comptabilisation par composants, les dépenses ultérieures immobilisables réalisées sur un actif sont distinguées du bien principal « sous-jacent », ce dernier figurant dans les comptes de l’organisme conformément aux dispositions comptables qui lui sont applicables (coût historique amorti ou valeur symbolique ou valeur forfaitaire non révisable). Ainsi toute dépense ultérieure, si elle revêt un caractère immobilisable, est enregistrée à l’actif du bilan distinctement du bien principal « sous-jacent ». De plus, un plan d’amortissement propre reposant sur sa nature lui est appliqué.
Ça y est, toute la belle théorie est partie en fumée et nous revoilà avec nos petites tracasseries GM-AC ! Pas tout à fait, n’oublions pas la petite proposition « une approche assimilable à la comptabilisation par composants »... On en reparle plus loin ?
Frais d’entretien et réparation : la destination par défaut au 615
Je vous épargne la lecture du plan comptable généralisé émis par l’autorité des normes comptables, mais en résumé [4] :
Le compte 615 est utilisé pour enregistrer les charges d’entretien et réparations des biens de l’entreprise. Il est à noter que ces charges ne doivent pas augmenter de manière significative la durée de vie d’un bien, sinon elles devront être comptabilisées en immobilisations.
Ce à quoi, l’instruction M9.6 (cote 2.5.6.1) ajoute :
les dépenses entraînant une augmentation de la valeur d’actif d’un bien immobilisé en modifiant son état initial, ou ayant pour effet de prolonger d’une manière notable la durée d’utilisation d’un élément d’actif, constituent des immobilisations.
Mantra : « une approche assimilable à la comptabilité par composants »
Ce qui est intéressant dans ce rapport entrer réparation et immobilisation, c’est surtout le rapport entre le coût de pièce changée par rapport au coût total de l’immobilisation, pas nécessairement le fait qu’elle coûte plus de 800 € ou qu’elle ait une durée de vie pluriannuelle.
Ainsi, si je dois remplacer un pneu à 815 € sur mon Kronaviem T400, quelle question dois-je me poser pour son imputation ? Un pneu à 815 € sur un matériel qui coûte 120 000 €, c’est un ordre inférieur à 1 %. Le remplacer ne peut pas modifier la durée de vie utile, ni la valeur du camion.
A l’inverse si je dois remplacer le groupe de ma chambre froide, qui vaut environ 1800 € alors que la chambre froide totale vaut 8 000 €, là le rapport est de 22,5 %. On a dépassé les 15 % et l’immobilisation est la meilleure des préconisations.
On a le moyen d’objectiver la valorisation du bien par ce pourcentage. Utilisons-le !
Aux détracteurs que j’ai déjà croisés et qui m’ont dit : « Sans de nouveaux pneus, le camion ne roulera plus. Donc sa vie utile est nécessairement modifiée par le changement de pneus. Il faut donc immobiliser. »
Mouais... À ce stade, je pense que le nombre de nœuds au cerveau qu’il faut se faire pour arriver à cette conclusion dépasse le cadre normé de la comptabilité. S’il reste dix ans à tirer à mon camion sur mon plan d’amortissement, c’est à moi de faire que ce camion arrive jusqu’au bout. L’idée sous-jacente, ce n’est pas de le considérer en fin de vie à chaque fois qu’une pièce d’usure lâche ou qu’il subit une avarie. C’est bien de continuer à l’amortir et donc à le rendre utile à l’établissement jusqu’à la fin de son "contrat" dans le registre des immobilisations.
Ce n’est pas parce qu’une pièce d’usure est indispensable au fonctionnement de mon engin que cette pièce est constitutive de la valeur de l’ensemble. Sinon le carburant aussi devrait être immobilisé, on y revient !
Ne pas chercher midi à quatorze heures reste notre meilleur allié en comptabilité
Rappelons-nous que toutes les considérations qui s’appliquent tiennent compte de l’état initial de l’immobilisation, quand elle était toute neuve et sortait du carton.
Et il y a les cas tout à fait ordinaires où l’on ne devrait pas se poser de question...
Imaginons que mon camion, conduit par un élève un peu tête en l’air, a fini dans la porte du lycée. La facture pour le châssis du tracteur s’élève à 4 500 € et celle de la porte de l’atelier qui ne peut être réparée mais doit être changée s’élève à 6 000 €.
Les deux sont pris par l’assurance, dans le premier cas, au titre de l’assurance VAM, dans le second cas en tant que responsable du sinistre sur le bien de la collectivité.
Vu les montants, immobilisation ou pas immobilisation ?
La réponse est très simple et vaudra quoi qu’il arrive : une assurance rembourse les dommages causés, c’est à dire qu’elle permet une "remise en état" d’un bien. [5] Donc, dans tous les cas de figure, au moins à hauteur de ce que l’assurance propose, il n’y a pas d’immobilisation. Il s’agit d’une simple réparation, quand bien même cette réparation nécessiterait un changement d’un élément de plus de 800 €.
Il n’y a aucune valorisation d’aucune sorte à réparer un bien ou à le remettre en état.
Changement, échange, rechange, c’est peut-être là aussi qu’il faut creuser
La différence entre le 215 (immobilisation) ou le 615 (réparation) pourrait-elle être d’ordre sémantique ?
Je dis oui, un oui franc et massif. À chaque devis reçu, engagement juridique à passer, facture à payer, posons nous la simple question : est-ce que cette pièce est un échange (du type échange standard dans une casse) ? Est-ce une pièce de rechange ?
Si la réponse est oui, alors il s’agit bien d’une réparation. Même si le prix dépasse le seuil de l’immobilisable, c’est bien un fait de fonctionnement. La réponse est donc "615".
Si la réponse est non, alors s’agit-il d’un changement dans la conception de l’immobilisation, comme l’installation d’un double pédalier sur mon Kroniaviem T400 pour un montant de 2 500 €. Oui, dans ce cas il y a changement de la nature et de la valeur de mon camion : il devient un véhicule-école. La réponse peut être "215".
"Pourquoi est ce que je dis "peut être" alors que j’ai dit "est" au dessus ?", me direz-vous. Bah, on revient aux fondamentaux, hein, est-ce que la valeur ou la durée de vie de mon camion va être modifiée de manière significative ?
- Critère financier : le ratio pédalier/camion est de 2%.
- Critère temporel : le double pédalier va durer aussi longtemps que le camion dans un établissement scolaire — c’est sa vocation d’être véhicule-école — et sa durée ne sera pas prolongée, même plutôt réduite, car un véhicule-école a une durée de vie réglementaire bien plus courte qu’un véhicule utilitaire.
Donc, au final, j’aurais pu... mais selon une « approche assimilable à la comptabilité par composants des actifs » cela restera :
- soit un coût intégré à celui du camion si j’ai pris le temps de ne pas valider complètement ma fiche d’inventaire (et c’est personnellement ce que je préconise) ;
- soit une réparation si vous le faites, par exemple, sur l’exercice suivant.
Je sais : c’était bien long pour dire que finalement, il n’y a pas grand chose d’immobilisable là-dedans. C’est moins long pourtant à lire qu’à traiter un rejet des deux côtés de la comptabilité. Alors, prenons parfois le temps... le temps long des immobilisations, par exemple.