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La gestion de fait

mardi 7 mars 2023, par L’intendant zonard

La gestion de fait est un délit constitué lorsqu’une personne non habilitée manie des fonds publics. Dans cet article, après une série de définitions permettant de cerner les situations, on illustrera par l’exemple le plus courant en EPLE : les voyages ficelés de bric et de broc.

Définitions pour bien comprendre

Ordonnateur : personne investie du pouvoir exécutif dans un établissement public, et à ce titre décisionnaire de l’opportunité de la dépense et de la recette. Depuis le 1er janvier 2023, la responsabilité des ordonnateurs, largement théorique jusque là, a été très étendue et fait craindre, en cas de manquement, des sanctions financières non négligeables, outre les conséquences disciplinaires qui ne manqueraient pas de sanctionner un comportement délictueux.

Agent comptable : fonctionnaire qualifié, assermenté et habilité, détenant l’exclusivité du maniement des fonds publics. La disparition début 2023 de sa responsabilité pécuniaire personnelle ne signifie en rien, au contraire, qu’il ne serait pas concerné par la responsabilité des gestionnaires publics.

Fonds publics : toute somme d’argent d’origine publique et devant rester sous la protection du couple ordonnateur-comptable jusqu’à son utilisation. Le sujet de la gestion de fait tourne presque entièrement autour de situation grises, dans lesquelles des gens de plus ou moins bonne foi clament "c’est mon argent j’en fais ce que je veux", alors que le juge du compte et la DGFiP ont la possibilité de requalifier l’opération.

Opération : ici l’acte d’une personne publique (l’EPLE). Si l’établissement organise une opération, il ne peut pas être toléré qu’une partie d’icelle échappe au contrôle du comptable public, de l’ordonnateur et de l’assemblée délibérante (conseil d’administration).

Principe de non-contraction : principe général de la comptabilité publique selon lequel il est formellement interdit de mettre des dépenses et des recettes ensemble pour dire qu’au bout du compte ça s’équilibre et y reste plus rien. L’ensemble des produits et l’ensemble des charges doivent être inscrits dans la comptabilité de l’établissement public, et permettre un contrôle étendu des opérations menées, pas seulement de leur solde de tout compte.

Gestionnaire de fait : toute personne s’étant immiscée dans la gestion des fonds publics à la place du comptable. Outre la qualification pénale, le gestionnaire de fait devra présenter aux juridictions financières une comptabilité équivalente à celle fournie par un comptable public (c’est mon métier et je peux vous dire que ça ne s’improvise pas sur un coin de table !)

Les lois en vigueur

Toute personne qui, sans avoir la qualité de comptable public ou sans agir sous contrôle et pour le compte d’un comptable public, s’ingère dans le recouvrement de recettes affectées ou destinées à un organisme public doté d’un poste comptable ou dépendant d’un tel poste est, dans le cas où elle n’a pas fait l’objet pour les mêmes opérations des poursuites au titre du délit prévu et réprimé par l’article 433-12 du code pénal, passible des sanctions prévues à la section 3 au titre de sa gestion de fait.

Le comptable de fait est en outre comptable de l’emploi des fonds ou valeurs qu’il détient ou manie irrégulièrement et, à ce titre, passible des sanctions prévues à la section 3 en cas de commission d’une infraction mentionnée aux articles L. 131-9 à L. 131-14.

Il en est de même pour toute personne qui reçoit ou manie directement ou indirectement des fonds ou valeurs extraits irrégulièrement de la caisse d’un organisme public et pour toute personne qui, sans avoir la qualité de comptable public, procède à des opérations portant sur des fonds ou valeurs n’appartenant pas aux organismes publics, mais que les comptables publics sont exclusivement chargés d’exécuter en vertu de la réglementation en vigueur.

Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait, par toute personne agissant sans titre, de s’immiscer dans l’exercice d’une fonction publique en accomplissant l’un des actes réservés au titulaire de cette fonction.

Ca tape assez fort ? La lecture de ces articles est souvent particulièrement édifiante pour les candidats à la gestion de fait.

L’exemple le plus simple : le voyage avec "un truc en plus" payé par le FSE

Les 50 mômes partent à Bruxelles. Le collège organise le déplacement, l’hébergement, les repas, la visite des institutions européennes. Et là quelqu’un dit que ça serait chouette qu’ils aillent voir l’Atomium de 1958. A 8,50 € la place, ça ne rentre plus dans le budget, et miracle, le foyer socio-éducatif veut bien participer pour cela. Le FSE refile 430 € en espèces au prof organisateur, qui paie l’entrée avec, on n’en parle à personne parce que c’est pas la peine de s’enquiquiner.

Dans cette configuration, le professeur est gestionnaire de fait des fonds qui lui ont été confiés, parce qu’il manie de l’argent qui, pour une dépense qui s’intègre dans l’opération de l’établissement, devait impérativement figurer dans les comptes de l’EPLE. Le chef d’établissement, qui ne peut ignorer la situation, est complice et directement co-responsable.

En général tout ce petit monde a soigneusement évité d’en parler au gestionnaire, et plus encore au méchant agent comptable. Ceux-là sont donc hors de cause, mais s’ils en entendent parler, ils leur faut alors exercer leur devoir d’alerte (cf. infra).

Un exemple plus méchant : le voyagiste prend part active au problème

J’ai vu récemment un contrat de voyage qui se terminait par un article "conditions particulières" (le terme était bien choisi) :

Payé sur facture à part au nom du FSE

  • Petit-déjeuner du 12 octobre = + 10,00 € par voyageur (550,00 €)
  • Déjeuner du 13 octobre = + 17,00 € par voyageur (935,00 €)
  • Musée Homuséba = + 12,00 € par voyageur (660,00 €)

Là c’est assez extraordinaire, parce qu’un tel contrat est versé dans la comptabilité de l’EPLE, comme pièce justificative du plus gros des dépenses (pour une jolie somme d’une vingtaine de milliers d’euros, donc pas un truc qui passe inaperçu). On aurait donc une PJ comportant cette clause manifestement illégale : le gestionnaire et l’agent comptable ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas. L’alerte est indispensable pour se couvrir. L’agent comptable peut aussi faire savoir au chef d’établissement qu’il ne prendra pas du tout en charge le contrat, vu son illégalité.

Notez au passage qu’il y a aussi le coup (le coût) des repas (comme dans la chanson) : les parents, le chef d’établissement et tout l’EPLE trouveraient normal qu’un établissement public fasse partir au loin des enfants sans prévoir de les nourrir !? Il m’est arrivé de détecter une gestion de fait dans un établissement rattaché parce que je ne voyais que des prestations de déplacement et d’hébergement, et pas une calorie à mettre dans le ventre des élèves.

La "caisse du prof"

Une pratique qui a fait la réputation d’un voyagiste spécialisé dans les groupes auprès des profs : facturer les entrées de musées etc, mais concrètement au lieu de les acheter, refiler en liquide au prof organisateur la somme correspondante. J’ignore si ce bon professionnel par ailleurs le propose encore. Selon moi il ne s’agit pas de gestion de fait. Certains collègues bloquaient complètement sur cette pratique, mais d’abord l’ensemble des montants passent bien par la caisse du comptable, puis à la limite une fois que l’argent est parti de l’EPLE pour être versé au voyagiste, ce n’est plus de l’argent public.

Mon analyse de cette pratique, c’est qu’ainsi le voyagiste se remet entre les mains du prof, en espérant qu’il soit assez probe pour ne pas étouffer la somme pour sa poche en "oubliant" d’emmener le groupe au musée. Si j’avais du avoir connaissance de cet "oubli", j’aurais bien sûr exigé un remboursement au voyagiste, sur le fondement d’un défaut d’exécution, coinçant tout le monde.

En tout cas dans certains endroits ou pour certaines dépenses un peu inhabituelles et que pour des motifs pédagogiques il serait important de maintenir, je dos reconnaître que ça permet de répondre au besoin. L’alternative serait une régie confiée au prof, qui ensuite devrait tenter de justifier par des factures pas toujours simples à obtenir, dans une autre langue que le Français, des fois en devant en plus justifier du taux de change... l’enfer :

Dans presque tous les cas, les profs sont parfaitement corrects, et au contraire, on apprenait l’existence de cette "caisse du prof" parce qu’il en rapportait le solde, qu’on était bien en peine de savoir comment comptabiliser. La moins mauvaise solution étant alors de l’envoyer acheter avec un bouquin sur la ville visitée pour le CDI.

Le devoir d’alerte

Lorsqu’un fonctionnaire a connaissance de faits répréhensibles commis dans sa sphère de compétence professionnelle, il a le devoir d’alerter sa hiérarchie, sans quoi il se sera lui-même rendu complice des actes qu’il n’aura pas cherché à faire cesser.

Car nous sommes soumis à l’article 40 du Code de procédure pénale :

Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs.

Concrètement, pour des actes d’une gravité relative comme quelques centaines d’euros de gestion de fait, le procureur n’est pas de mise. Mais il faut tout simplement s’inspirer des dispositifs récemment rendus publics concernant les lanceurs d’alerte : on en parle d’abord à son chef, puis à l’autorité au-dessus, on va jusqu’au bout des recours et si les choses ne changent pas ou si l’on subit des mesures de rétorsion, alors seulement on peut s’adresser au grand public (comprendre : la presse).

Dans l’EPLE, cela veut dire qu’on en parle d’abord au chef d’établissement. Il dispose de toute l’autorité nécessaire pour remettre les choses en ordre. Pour le coincer un peu tout en continuant à laver le linge sale en famille, le gestionnaire mettra l’agent comptable en copie, histoire d’inciter l’ordonnateur à vérifier auprès de lui qu’il y a effectivement un problème.

Posons l’hypothèse où l’ordonnateur ne veut rien savoir. J’ai aussi rencontré une situation dans laquelle le principal d’un collège rattaché, alerté par mézigue le comptable, s’est trouvé confronté à un refus net de cesser leurs agissements par les profs eux-mêmes. A ce moment-là, il faut envoyer au Directeur départemental ou régional des Finances publiques une description complète de la situation, avec la copie d’éléments précis, et les traces des échanges ayant déjà eu lieu dans la première phase. Vous mettrez en copie le rectorat, service de contrôle de légalité. Mais vous pouvez vous montrer joueur et vous adresser directement au recteur et obliger le cabinet à redescendre toute la pyramide hiérarchique, ce qui risque de pas mal saloper l’image du chef d’établissement, s’il l’a cherché.

Dans mon cas concret, je décrivais les démarches conjointes avec le chef d’établissement par lesquelles nous avions été contraints de tolérer une dernière opération trop engagée pour être annulée. J’ai reçu un satisfécit de la DDFiP, qui m’a confirmé que mon action était correctement construite et que l’essentiel, à savoir la cessation des anomalies, était obtenu. Ils auraient du être là à la séance du CA où les profs montaient sur leur grands chevaux que c’était scandaleux d’être traités comme des criminels... Ca ose tout et c’est même à ça qu’on les reconnaît.

Messages

  • Bonjour,
    j’ai un exemple pour lequel on me rétorque la gestion de fait ou pas.
    Mo nchef d’établissement demande à sa secrétaire (Madame X-Y)d’acheter du café. Celle-ci nous rapporte le ticket de caisse que nous mandatons (on fait ça tous les trimestres) avec le RIB habituel au nom de Mr et Mme X.
    Nous sommes retoqués par l’AC qui nous réclame un RIB au nom de X-Y ou une copie du livret de famille sinon cela tombe sous le coup d’une possible gestion de fait.
    Qu’en pensez-vous ?
    Que dit la réglementation pour ce cas précis ?
    Merci
    Bien cordialement

    • Ce que vous racontez n’a rien à voir avec la gestion de fait, et si l’agent comptable a prononcé ces mots à ce sujet, il n’a pas raté une occasion de passer pour un naze.

      La gestion de fait, c’est lorsqu’une personne s’immisce dans l’utilisation des fonds publics, sans y avoir été habilitée. La situation la plus courante est celle d’un particulier qui récolte des sommes en faisant croire qu’elle agit pour un établissement public, cf. le cas du prof qui prend les paiements (en liquide !) des familles pour le voyage pédagogique, alors qu’il n’a reçu aucun mandat pour cela (NB mandat du comptable, ce qu’en pense le chef d’établissement en la matière n’a strictement aucun intérèt).

      La problématique soulevée dans votre message est celle du caractère libératoire d’un paiement : la personne à qui le comptable verse une somme doit ètre la bonne, parce que sinon la dette n’est pas éteinte et l’agent comptable peut se voir reprocher d’avoir laissé partir de l’argent sans motif.

      Je réponds parfaitement à son objection par la pratique du message sur papier libre par la personne ayant fait l’avance, dans lequel on écrit "je soussigné Untel déclare avoir fait l’avance de X € pour tel achat dans l’intérèt du service et après avoir recueilli l’accord de Y, (représentant de l’)ordonnateur, et j’en sollicite le remboursement sur le compte M. Tartempion Banque Routh 12345 123456789456123 99 ROUTFRPPXXX". Papelard contresigné par l’ordonnateur, et formant la PJ "principale" du mandat, le ticket de caisse n’étant qu’un complément agrafé dans la marge.

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