Des documents importants
L’idée de cet article est venue d’une page d’un syndicat (du sup’ en l’occurrence) qui donne les liens vers des ressources très intéressantes. On va donc commencer par les reprendre, mais pas sans un minimum de commentaire pour la situation en EPLE.
La première ressource est celle du Syndicat des Avocats de France. C’est une fiche très synthétique en une page, qui priorise les choses de manière efficace. Si vous ne deviez suivre qu’un des liens présentés ici, c’est celui-là.
Le guide du manifestant de la Ligue des Droits de l’Homme est lui un document ultra-complet de 46 pages. Enfin, le Syndicat de la Magistrature propose un guide du manifestant arrêté en 21 pages.
La check-list du manifestant
Ceci est une tentative de liste de bonnes pratiques pour partir en manif l’esprit tranquille. C’est la panoplie du gentil manifestant qui ne veut pas d’ennuis. Un manifestant qui cherche les ennuis n’est plus un manifestant, en tout cas il risque d’être traité comme un émeutier, et à moins d’être masochiste, c’est pas un traitement que j’ai envie de subir. Et un lycéen qui voudrait s’y essayer, je le mets tout habillé sous la douche pour l’empêcher de sortir, ça lui fera moins de mal.
Naturellement les incidents, moins encore les violences, ne sont en rien une généralité lors d’une manifestation. Mais elles sont possibles, donc il faut en tenir compte et ne pas agir n’importe comment. De même que vous ne traversez pas la rue sans regarder (je ne parle pas de l’emploi bien rémunéré qui est de l’autre côté), vous ne sortirez plus en manif sans pointer ces bonnes pratiques :
- assurez-vous que la manifestation à laquelle vous allez prendre part a été déclarée, et pas interdite. Dans le cas contraire, vous encourez plein de problèmes, notamment parce qu’une manifestation non autorisée n’est généralement pas encadrée non plus, et le pire peut s’y dérouler. Il y a bien assez souvent d’occasions de manifester dans un cadre autorisé et sécurisé !
- si vous trouvez qu’il n’y a pas assez de manifs, alors participez aux AG et autres réunions où elles sont organisées, pour aller dans ce sens
- si vous organisez une manif vous-même, après une AG justement, alors vous devez la déclarer comme le demande l’article L211-1 du code de la sécurité intérieure. Comme l’indique la LDH, la déclaration se fait à la mairie, sauf dans les départements 75-92-93-94, où c’est la préfecture de police.
- ayez toujours sur vous une pièce d’identité. Pour les plus jeunes, une carte de votre établissement, un abonnement aux transports, ce que vous pouvez.
- ne partez pas seul·e en manif. De toutes manières c’est un peu sinistre. Soyez si possible en groupe de gens vous connaissant bien et pouvant vous aider les uns les autres en cas de pépin, et avec la résolution de ne vous quitter que quand tout sera terminé sans problème.
- n’ayez jamais d’arme sur vous. Le plus petit canif pourrait être interprété comme une préméditation de violence. Les armes par destination (tout ce qui pourrait servir à cogner sur quelqu’un, de la batte de base-ball à la simple bouteille 33cl de soda) aussi !
- la capuche : mauvaise idée ! D’abord manifester est un droit qu’on doit toujours être fier d’exercer, il n’y a aucun motif de chercher à dissimuler son identité, son visage. Et l’on reporte des cas où une grenade est restée coincée dans la capuche, là c’est très grave...
- ne vous habillez pas en noir, enfin tant qu’il y aura des blacks blocs agissant de manière violente, il est inutile de prendre le risque d’y être associé. Même la mode gothique prévoit du blanc ou du rouge ;-)
- préservez votre voix, vous pouvez emporter de quoi faire du bruit, un instrument de musique... mais rien de précieux, et rien qui puisse être considéré comme une arme par destination !
Bons gestes, mauvais gestes
En manif, on ne perçoit pas forcément tout de suite que quelque chose déraille, et on se retrouve à agir de manière désordonnée, en suivant la foule au lieu de son bon sens, quand ça tourne vinaigre. Le rôle de l’encadrement (organisation et police) d’une manifestation est de gérer ces mouvements de foule, c’est presque toujours bien anticipé et organisé mais si ça va mal...
Si vous avez peur, à raison, des mouvements de foule qui écrasent les gens jusqu’à l’asphyxie de dizaines de personnes comme on a pu le voir à la Mecque, dans des concerts aux USA ou récemment à Seoul : les manifestations en France sont justement autorisées après une étude permettant de se prémunir de tout risque de ce côté.
Sachez cependant que plus il y a d’obstacles dans l’espace investi par la foule, moins le danger est important : le mobilier urbain etc. empêche la propagation d’ondes de compression transmises de personne à personne.
En cas d’emploi d’armes par la police (flash-ball etc.), le tir à hauteur de la tête est strictement prohibé. S’il y a de tragiques exceptions, c’est quand même une règle respectée, et cela doit vous faire comprendre qu’alors, c’est une très mauvaise idée de se baisser ou de s’asseoir !
Est-il vraiment nécessaire de vous dire que si une grenade aboutit près de vous, il ne faut en aucun cas tenter de s’en saisir, de la renvoyer ? Mains arrachées etc., on a vu le résultat. Ces armes sont faites pour ne pas tuer, et normalement ne même pas blesser, elles ne contiennent que de faibles quantités d’explosifs.
Les grenades lacrymogènes ne sont là que pour disperser leur produit, mais la détonation est dangereuse et doit se faire au sol. Les grenades dites de désencerclement agissent, elles, normalement, par le son : elles sont assourdissantes, et choquent les personnes dont les réactions sont ralenties, ce qui est censé redonner l’initiative aux forces de l’ordre.
Alors si une grenade arrive à vos pieds, avant même de commencer à vous enfuir sans demander votre reste, le premier geste devrait être de vous mettre les deux mains sur les oreilles, et en appuyant de toutes vos forces !
Les produits lacrymogènes
Contrairement à ce que l’on pense, il ne s’agit pas de gaz, mais d’une fine poudre. Ce produit sec, au contact de toute humidité même faible, se mute en un puissant acide. C’est le cas avec les larmes qui baignent les yeux. Comme ce n’est donc pas un gaz, la poudre est normalement filtrée par les fosses nasales et n’atteint pas les poumons... sauf si vous respirez par la bouche !
Il est assez probable qu’un masque type Covid, bien humidifié, retienne l’essentiel du produit et vous permette de respirer sans trop souffrir, même si je ne vous souhaite pas d’avoir l’occasion de le vérifier. Pour les yeux, des manifestants "durs" se munissent de lunettes de plongée, ou de ski, pour les protéger. Le problème, c’est qu’apporter de tels objets en manif constituera, aux yeux de la police, une preuve de votre préméditation d’aller au conflit.
Ce caractère solide (poudre) et non pas gazeux des produits lacrymogènes explique aussi leur rémanence sur les vêtements par exemple : si c’était un gaz, il serait dissipé en quelques secondes. Mais si un tissu est imprégné de lacrymo, il n’y a rien d’autre à faire que de le laver. A part et à grande eau pour bien diluer le produit acide et ne pas flinguer le textile.
Manifester devant l’établissement ?
On en arrive à ce qui justifie cet article dans ce site. Vous êtes élèves et envisagez une action de type manif devant le bahut ? OK, voyons ce qu’on peut faire.
En premier lieu, si vous me lisez, c’est que vous préparez les choses. C’est très bien, et tout marchera probablement mieux ainsi. Mais vous portez alors une responsabilité (au moins morale) en tant qu’organisateurs ! Vous ne pouvez pas vouloir blesser quiconque parmi vos camarades, ni bousiller l’école que la République a faite pour vous. Elle n’est pas forcément terrible et vous auriez peut-être aimé mieux, mais pour l’instant c’est ce qu’on vous a donné !
Organiser un mouvement devant voire dans l’établissement ne conduit absolument pas nécessairement à des choses non souhaitables, il suffit d’y réfléchir à l’avance. Je vous fais une nouvelle check-list pour une action pertinente, efficace et maîtrisée :
- bonne nouvelle, dans l’immense majorité des cas, les abords d’un établissement scolaire sont tout à fait adaptés à cela. Il y a un peu d’espace, c’est sécurisé, surveillable. Oui, préférez être surveillés, ça n’est pas un danger, au contraire. Vous exercez un droit fondamental, soyez fiers de ce que vous faites et tout ira bien !
- votre action ne servira à rien si elle n’est pas médiatisée : vous êtes probablement des as des réseaux sociaux, donc foncez dans cette direction et tentez de créer des situations qui ont de la gueule pour des images qui auront une chance de faire le buzz.
- mais les moyens modernes de communication gagnent à être rejoints par les médias de papy : je vous assure qu’un huitième de page dans le journal local, ça a une toute autre influence que même un excellent buzz avec plein de vues sur un réseau social où ne vont que des gens de votre âge. Et je ne parle même pas d’une présence télé ! Vous devez contacter des journalistes. Pas des journaux ou des télés ! j’ai bien dit des journalistes, votre boulot consistant à identifier leur nom et à trouver comment les contacter. Les journalistes sont foutus si l’on ne peut pas leur faire confiance, donc ne craignez pas qu’ils "caftent" votre opération, s’ils veulent la couvrir ils préféreront avoir l’exclu !
- dès la phase de préparation, il est indispensable de formuler clairement des interdits. Pas de violence, pas d’armes, pas de feu, rien qui représente un danger pour vous ou pour les autres. Si quelqu’un dans le groupe insiste pour ce genre de choses, il faut mettre un véto et dire que ça sera alors sans vous.
- blocage ou pas blocage ? La réponse est claire : c’est interdit par la loi, c’est un délit d’entrave sanctionné par l’article 431.1 du code pénal. Mais pourquoi donc bloquer ? La seule raison raisonnable, c’est que les autres élèves de l’établissement vous suivent. Renversez donc la question : que pouvez-vous faire d’assez bien, sympa et sans danger, pour que les autres élèves marchent avec vous, et pas seulement parce qu’ils n’ont rien d’autre à faire ? Donc vous pouvez bloquer, mais uniquement avec des mots, des regards, des attitudes. Une chaîne humaine devant la grille, c’est mille fois plus fort que toutes les barrières, tas d’ordures que vous pourriez amonceler devant l’entrée !
- pour que de nombreux autres élèves participent, il faut leur en donner pour ce qu’ils sont prêts à faire. Organisez la variété des activités ! Certains voudront faire une chorale (préparez un texte de chanson détournée), d’autres un atelier banderoles, d’autres une démo de danse sur la chanson détournée... plus tous les vidéastes de portables : ils devraient tous participer au buzz dans leurs propres comptes sociaux. Et je n’ai sûrement pas autant d’imagination que vous.
- conservez toujours une capacité de dialogue : oui, des adultes vont tenter de vous infantiliser, de vous donner des ordres en comptant bien être obéis. Désignez quelqu’un qui sera là pour communiquer sans jamais pouvoir prendre de décision, ça désamorce le truc !
- absences en cours : la participation à une manifestation n’est pas un motif d’absence prévu par la vie scolaire ! Il y aura donc nécessairement un signalement de vos absences à vos parents. Et alors ? Il est temps qu’ils apprennent que vous grandissez, non ? Si le mouvement auquel vous avez participé a été bien mené, non violent, respectueux des lieux, et qu’il a eu son petit effet médiatique, les réprimandes que l’on pourrait vous faire seront vite oubliées. Argumentaire à servir à ceux qui sont un peu tièdes... Même si les meilleures blagues sont les plus courtes !
Organiser des choses à l’intérieur de l’établissement ?
Y a du pour, y a du contre. En tant qu’adulte chargé de l’encadrement de mineurs, moi je préférerai toujours que les élèves soient à l’intérieur, où ils sont a priori plus en sécurité que sur la voie publique. Mais cela peut occasionner pas mal de nervosité chez les adultes. Quelques éléments de réflexion :
- vos actions ne doivent en aucun cas être conduites dans des espaces qui ne sont pas faits pour cela. Une horde d’élèves énervés qui déboule dans les couloirs, cela traumatiserait probablement pas mal de monde, ne faites pas ça.
- mais dans le hall, ou à la rigueur en investissant une salle polyvalente/amphi adapté à un grand nombre de personnes, ça commence à être envisageable. Bien entendu, dans la cour c’est très bien, mais il risque d’y être compliqué d’organiser la foule et l’espace comme vous l’entendez.
- votre action ne devrait pas pouvoir être interprétée comme une perturbation des cours ayant lieu par ailleurs, qu’il est indispensable de respecter. Par exemple faire beaucoup de bruit, ça ne peut pas aller, ou alors faites-le depuis l’extérieur.
- si vous agissez à l’intérieur, vous vous privez de toute possibilité de recourir à des personnes extérieures à l’établissement. D’une manière générale compter sur des copains d’un autre bahut, ou les gars de la cité en face, ce n’est pas une très bonne idée. Mais s’ils rentrent dans l’établissement, ils commettent un délit d’intrusion puni par l’article 431-22 du code pénal. Vous ne pouvez pas non plus faire venir de journaliste...
Pour finir : organisez-vous et faites votre éducation politique
Il existe des syndicats lycéens, avec lesquels vous pourrez échanger et apprendre énormément de choses.