Une lente évolution nominative et normative
C’est horrible d’écrire cela sur l’intendance zone, mais je déteste le concept d’intendant qui nous colle encore à la peau. C’est rétrograde à divers titres : d’une, est-ce qu’un manager du XXIe siècle peut s’identifier à un terme aussi « ancien régime » ? Moi pas. De l’autre, la punchline « l’intendance suivra » que certains de nos chefs d’établissement aiment à nous rabattre les oreilles, est l’image même de tout ce dont je ne veux pas dans notre métier : être le bouc-émissaire d’orientations houleuses, de revirements incessants, de prises de risque non contrôlées. Enfin, la connotation ancillaire est à des lieux de notre positionnement de cadre.
Alors, évacuée cette gouvernance qui place logistique et économie hors du champ stratégique et tactique. Nous valons mieux que cela, au niveau humain comme systémique.
Devenir gestionnaire a été une révolution : on reconnaît la technicité de la mission, quoi que toujours sous une forme floue. Dès lors qu’un document inclut la mention « Contactez votre gestionnaire », toute la communauté éducative débarque dans nos bureaux, qu’il soit question de rémunération (gestionnaire de paie), de mutations (gestionnaire de carrière). Et au final, c’est devenu notre quotidien : quoi qu’il arrive dans l’établissement, forcément, c’est le gestionnaire qui doit savoir comment s’en débrouiller.
Pour accentuer le côté « cadre », la réglementation accole alors à ce gestionnaire, le terme « adjoint ». Pour autant, nous ne sommes pas « chef d’établissement adjoint » mais bien « adjoint au chef d’établissement ». La différence est de taille. Si les missions de direction sont bien confiées à l’adjoint, le vrai, c’est-à-dire l’autre, notre rôle reste sémantiquement en défaut dans l’organigramme : celui qui s’occupe des trucs qui n’intéressent pas vraiment le commandement du navire. Bien moins ancillaire que l’intendant, l’adjoint gestionnaire n’en est pas moins marginalisé.
Secrétaire générale : sobriété et solennité pour le même métier ?
Il n’y a pas si longtemps, j’aurais dit que le terme de secrétaire général était désuet, me rappelant surtout les deux Georges de mon enfance, Marchais et Seguy [1]. Il avait aussi quasiment disparu du champ de l’économie privée, bien qu’il revienne au galop notamment dans les petites et moyennes structures.
Dans l’administration, au contraire, il impose le respect : secrétaire général de l’Élysée, dont la liste sous la cinquième République affiche une dizaine d’anciens ministres, ou les innombrables sous-préfets passés à ce poste dans nos chefs-lieux de département. C’est également une pierre angulaire auprès de nos recteurs et de nos inspecteurs d’académie.
On pourrait donc facilement imaginer qu’il est surdimensionné pour nos maigres fonctions. Que nenni ! Esse-Gé, c’est aussi la fonction d’autres attachés d’administration, voire de secrétaires administratives dans les sous-préfectures, ou bien de nos homologues dans les lycées agricoles. Serions-nous moins légitimes qu’eux à porter ce titre ? Faisons-nous un peu confiance : évidemment que nous le pouvons.
Le code ROME M1205 (responsable administratif et financier) c’est déjà notre métier.
En sortant de notre petite sphère publique pour regarder ce qu’est un secrétaire général dans les entreprises aujourd’hui, le constat est sans appel : être secrétaire général c’est ce que nous sommes (ou sommes censés être) depuis longtemps. Qu’il s’agisse de :
- veiller à l’application des orientations décidées par la direction,
- assurer la conformité des méthodes, des procédures, aux normes et législations,
- opérer le suivi de la comptabilité et de la trésorerie (avec le concours du comptable assignataire),
- participer à la prise de décision en y apportant son expertise,
- imaginer des méthodes de contrôle de la gestion de l’établissement et de ses performances,
- être consulté dans la définition du budget de l’entreprise,
- rédiger des rapports sur les résultats financiers et les opérations financières,
nous sommes là, à tout moment.
Véritable bras droit de la direction d’un établissement, le secrétaire général est associé à trois expressions : « couteau suisse », « vigie » et « expert ». Que celui qui n’a pas été dans l’une ou l’autre de ces positions au moins une fois dans sa carrière lève le doigt.
Donc, oui, techniquement, nous n’avons pas à rougir ou avoir peur de cette nouvelle terminologie : nous sommes des secrétaires généraux, quel que soit notre établissement.
Secrétaire général : les bémols de la position, la formation et la rémunération
J’ai sans doute l’air dithyrambique vis à vis de cette nouvelle dénomination mais il n’en est rien. Je suis un peu lucide quand même.
D’abord parce que le secrétaire général est avant tout le bras de la direction, ce qui signifie implicitement qu’il n’en fait pas partie. Il l’accompagne uniquement. Il collabore avec. Exit donc les espérances folles d’être un "vrai adjoint".
A l’heure de la 3DS, le changement de nom me paraît parfaitement opportun en ce sens. Nous devenons des carrefours entre deux mondes, celui de la collectivité d’une part, celui de l’Éducation de l’autre. Si le chef d’établissement est le fusible du ministre ou du recteur, nous sommes celui du mille-feuilles éducatif. Tout à coup, ça donne beaucoup moins envie...
Notre position change donc et avec elle toutes les espérances que nous avions fondées en matière de reconnaissance. Il va falloir tout reprendre à zéro. Mais qu’à cela ne tienne. Les optimistes dont je fais partie relèveront sans doute le défi même s’il est vain.
Un secrétaire général, c’est avant tout une expérience et un savoir-faire : nous devrions donc être sur des postes profilés, non ?
Mais qui dit poste à profil, dit grille indemnitaire qui correspond.
A commencer par nos collègues B, qui font le même boulot, souvent à une plus petite échelle certes, mais qui ont cette particularité d’être les plus capés de leurs établissements en matière de compétences cumulées tout en étant les seuls personnels à ne pas jouer dans la cour des cadres A.
Mais cela vaut aussi, pour les IFSE qui ne prennent en compte que la catégorie de l’établissement (au volume d’élèves) sans tenir compte des particularités que constituent les champs de la formation continue, de l’apprentissage, des recettes hors subventions : une kyrielle de métiers annexes qu’il faut intégrer à nos fonctions.
Et qui dit expert, dit également formation. Les perdir ont leurs séminaires à l’IH2EF, les comptables aussi, presque toutes les fonctions... Et nous ?
Aucune formation au droit — administratif, des marchés, du personnel et du travail — depuis que je suis à l’Éducation nationale. Aucune formation comptable non plus. Aucune formation au management. Il n’y en a tout simplement aucune dans le catalogue.
Car même un couteau suisse ne naît pas avec toutes ses dents et s’émousse avec le temps. Or, si nous devons nous former uniquement par nous-même, nous n’avancerons pas comme il faut : comment évaluer notre progression réelle, comment vivre l’insécurité vis-à-vis de l’information, entre autres ?
Je ne m’étends pas sur ces écueils : je les pointe du doigt simplement. Car au final, il est inutile de changer de nom afin d’opter pour celui qui correspond à nos fonctions si c’est pour retomber dans les mêmes travers — ne pas se donner les moyens de regarder ce que nous sommes et ce que nous faisons ; ne pas se donner les moyens de faire de nous des gens plus performants qui correspondraient davantage à ce titre qui de ce fait n’est pas si séduisant... juste ronflant.
Messages
1. J’étais secrétaire générale d’EPLE et vous ?, 6 octobre 2023, 09:39, par Anne PETZOLD
Et comment appelle t’on les agents comptables qui sont aussi SG ? C’est pour mon CV, lol
2. Je suis secrétaire générale d’EPLE et vous ?, 6 octobre 2023, 09:52, par Jean-Marc Boeuf
Belle analyse - comme à l’ordinaire devrais-je dire - un certain syndicat, qui n’a peut-ètre pas toujours la mème liberté de ton, n’aurait pas fait mieux…
Amicalement
JMB
3. Je suis secrétaire générale d’EPLE et vous ?, 11 octobre 2023, 09:51, par Mx
Et tu te sens plutôt « secrétaire » ou « générale », Xena ?
Bravo en tout cas de susciter ce débat sur notre appellation professionnelle… Cela m’a fait sourire et donné envie d’y participer.
J’ai toujours détesté l’appellation « gestionnaire » et plus encore, je crois, celle d’« adjoint gestionnaire » qui a voulu nous faire croire que… ça y était nous étions des perdir… et d’aucun y ont cru ! Et que l’on se tutoie et s’embrasse dans l’allégresse… quand tout va bien !
Alors que non…et c’est très bien ainsi, nous sommes des personnels administratifs et fiers de l’ètre.
J’ai d’ailleurs toujours conseillé à mes jeunes collègues de garder une saine distance avec la direction, sous forme de vouvoiement ; cela permet de dire plus facilement (à moi en tout cas) NON…et cela n’empèche pas la convivialité des relations.
Certes, nous sommes membres de l’équipe de direction et on nous le rabâche à tout bout de champs…Vous aurez noté cependant que le concept est très variable selon les établissements, les chefs, leurs humeurs…et les relations qui s’établissent avec eux… De la flatterie confraternelle à l’injonction comminatoire les échelons sont nombreux.
Faire référence au terme de « révolution » en contrepoint de celui de « gestionnaire » me semble singulièrement… créatif !
« Gestionnaire de paie, de carrière… » et aussi « gestionnaire de fonds de pension… » et ainsi l’appellation reconnaissait, enfin, notre technicité… Quelle tristesse de la limiter à ces horizons ! Alors que, du coup, nous sommes aussi gestionnaires RH, gestionnaire de travaux, gestionnaire restauration, gestionnaire d’internat, gestionnaire budgétaire et financier et mème gestionnaire pédagogique parfois, souvent…
La richesse de notre métier n’est pas bien rendue par ce terme de gestionnaire qui, dans le grand public, ne renvoie qu’aux chiffres et aux effectifs…
Devenir gestionnaire a été pour moi une régression, une amputation professionnelle.
Quelles que soit les époques et les évolutions sémantiques de notre appellation professionnelle, ce qui est resté c’est que nous sommes à la tète du service de l’intendance dont tout le monde identifie parfaitement les missions et dont personne ne pense à changer, me semble-t-il, l’appellation… mème la boite courriel est « int ».
C’est pourquoi je suis donc fier d’ètre intendant à la tète du service d’intendance et… ça coule de source, non ?!
Tu as raison, cela renvoie forcément à l’ancien régime et Wikipedia me dit que le rôle des intendants s’apparente alors à celui des préfets d’aujourd’hui… (C’est comme cela que j’ai fait croire à ma mère que j’avais réussi dans l’administration)… De quoi se positionner en cadre, non ?
Et sans craindre cette connotation ancillaire, qui t’a beaucoup frappée, mais qui est malheureusement la marque de beaucoup de rapports humains dans l’administration en générale quels que soient les corps.
Et notre place dans l’organigramme de l’EPLE quel que soit notre titre, est celle que l’on prend, là où l’on est.
Rien n’empèche de s’y placer au mème niveau que les adjoints, d’autant plus que la liste des services que l’on encadre et des tâches que l’on accomplit n’a pas à rougir comparée à celles des dits adjoints.
Après gestionnaire, adjoint·e gestionnaire, nous voilà donc secrétaire général·e… et c’est déjà beaucoup moins laid !
Merci pour ton analyse fine de la fonction… Mais au final cette nouvelle appellation n’est-elle pas elle aussi réductrice de nos missions… Je n’y vois pas la fonction RH ni le pilotage de la restauration.
Et ce nouveau secrétaire général chapeautera t-il l’ensemble des services administratifs de l’EPLE.
Le secrétariat unique était très en vogue il y a… quinze ans je dirais. Certains collègues et pas mal de chefs s’y sont engouffrés au nom d’un meilleur service rendu au public (les collègues des secrétariats traitant alors les demandes qu’elles ressortent de la scolarité ou de l’intendance). D’autres chefs ont freiné des quatre fers pensant y perdre de leur pouvoir… D’autres collègues, intendants, y ont vu aussi l’augmentation de nos tâches RH et d’organisation des services et n’étaient pas non plus enthousiastes. Tout cela s’entend, quels que soient les argumentaires.
Quoiqu’il en soit, je partage complètement ta conclusion où tu soulignes au final qu’il ne servira à rien de changer, à nouveau, de nom pour… changer de nom.
Alors au boulot nos syndicats, nos associations professionnelles… Et merci d’avance cher·es collègues de les rejoindre pour faire masse dans les débats nombreux et complexes sur l’avenir de notre métier.
Tu l’auras compris, je ne suis pas un perdreau de l’année… et je resterai intendant pour le temps qu’il me reste à faire dans ce magnifique métier, au service des mômes.
4. Je suis secrétaire générale d’EPLE et vous ?, 13 octobre 2023, 09:45, par Paul
Merci pour ce beau article et merci à vous de nous informer car l’information n’est pas encore arrivée....on attend B..M
5. Je suis secrétaire générale d’EPLE et vous ?, 18 octobre, 14:05, par laurent
Bonjour, pour ma part je suis devenue Secrétaire même plus gestionnaire, ni même adjoint gestionnaire. Au gré de mes mutations j’ai "dévalué"... Je demande tout pour tout, aucune autonomie, tout va bien. Ce métier me gave, je me sens inutile ! Mais bientôt la retraite et tant mieux.