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"Rencontre avec Z"

Décentralisation, mode d’emploi

jeudi 30 décembre 2004, par L’intendant zonard

Nous avons obtenu, sous couvert d’anonymat, le témoignage d’un président de conseil général, qui nous explique le pourquoi et le comment de la décentralisation à la mode 2004.

Monsieur le président, pour vous la décentralisation, c’est une bonne nouvelle ?

Et comment ! L’important dans ma situation, c’est de se créer des occasions.

Qu’entendez-vous par là  ?

Et bien, par exemple, il y a 2 % à prendre sur le chiffre d’affaires de toutes les cantines.

Comment donc ?

Pour obtenir les marchés de concession contre la Générexho, la Sodérale devra verser 2 % à mon parti, c’est pourtant habituel, non ?

Attendez, le gouvernement a promis qu’il n’y aurait pas de privatisation !

Le ministre l’a dit, pas moi !

Mais comment donc ferez-vous passer la pilule auprès de l’électorat, et de tout un tas de profs qui seront furieux à cette idée ?

C’est enfantin ! Vous savez que, parmi les fonctionnaires qui seront transférés, certains offrent une performance, comment dire, moyenne, vous voyez ce que je veux dire ?

Expliquez vous

Et bien il y a, parmi les 90 000 Techniciens et Ouvriers de Service qui seront décentralisés, une certaine proportion de personnes en fin de carrière et ayant des problèmes de santé, ou d’autres qui souffrent d’un déficit en compétences, ou enfin qui justifient les conversations de comptoir par leur capacité à en faire le moins possible.

Certes, il y a des bras cassés. Mais sûrement pas plus de 2 ou 3 % de l’effectif tout de même !

Oui, même si ça m’arrange de grossir ce chiffre. Mais ces 2 ou 3 % me seront très utiles. Imaginez leur efficacité si on les met tous dans le même établissement, si possible avec un gestionnaire "à la hauteur", vous me suivez toujours ?

Et bien le collège concerné sera à feu et à sang en moins de trois mois !

Exactement ! Et alors, tout le monde réclamera la concession du service de restauration, voire de nettoyage, à des entreprises privées. Machiavélique, non ?

C’est le mot. Mais que ferez-vous de ces agents, alors, ils sont titulaires, non ?

Ah, ceux-là, ils sont précieux, on les gardera le plus tard possible. Sitôt leur mission accomplie dans un premier collège, on transfère l’essentiel de l’équipe vers la prochaine cible.

Pour détruire un nouveau service et privatiser un autre collège ?

... et récupérer mes 2 %, exactement !

Mais alors, les fonctionnaires efficaces, intelligents et doués, qu’en faire ?

Oh, ceux qui sont vraiment bien, on aura toujours des choses à leur faire faire dans les différents services du conseil général.

Mais si vous privatisez, vous aurez des agents en surnombre.

Non, parce que ceux qui ne présentent pas d’intérêt particulier, ni pour saboter, ni pour être récupérés, on s’en débarrassera.

Vous ne pouvez pas virer des fonctionnaires si facilement !

N’oubliez pas que ce seront des fonctionnaires de la territoriale ! Mes services leur proposeront une affectation comme cantonnier à l’autre bout du département, une fois, deux fois, et à la troisième proposition inacceptable refusée, ils seront éjectés.

Pour vous, la privatisation, c’est uniquement ça alors ?

Oh non ! Vous semblez oublier les autres actes financiers des établissements. Bien sûr, la restauration, c’est le gros lot, et en nourrissant un peu moins bien les gamins, il y a beaucoup de marge à dégager. Mais il ne faut pas oublier que les petits ruisseaux font les grandes rivières...

Qu’entendez-vous par là ?

Vous ne lisez pas les journaux ? Le gouvernement Raffarin a changé les seuils de passation de marchés publics suivant des formes protectrices de l’intérêt public. Pas un peu pour arrondir les chiffres, non, l’ancien seuil de 90 000 € est relevé à plus d’un million d’euros !

En quoi cela concerne-t-il les collèges, ou les lycées ?

Et bien, vous comprenez, si ma propre administration se mouille dans des perceptions de pourcentages... amicaux, ça ne sera pas discret. Alors que les collèges le feront très bien, en brouillant les pistes.

Pourquoi les collèges vous rendraient-ils un tel service ?

Parce que cela sera moi le supérieur hiérarchique des intendants, pardi !

Mais la décentralisation des personnels administratifs n’est pas à l’ordre du jour.

Pour les imbéciles seulement ! Croyez-vous une seule seconde que si les ouvriers sont décentralisés, leurs chefs de service ne le seraient pas ? D’ailleurs, le gouvernement a déjà annoncé que les personnels de la gestion administrative des ouvriers, dans les rectorats, seraient eux aussi confiés aux collectivités locales.

Et vous en profiteriez pour faire pression sur les gestionnaires-comptables ?

Pourquoi se gêner ? De toute manière, le poids de ma collectivité sera renforcé dans le conseil d’administration des établissement scolaires. De plus, une amicale pression signalant la qualité toute particulière de l’entreprise de mon beau frère par exemple, assortie d’une subvention suffisante pour assumer le surcoût, ne se refuseront pas s’il y a aussi une carotte.

Quelle carotte ?

Permettre à son établissement de sortir de la misère. C’est étonnant ce que mon conseil général peut être parfois lent à débloquer les fonds, alors que dans certains cas tout est plus simple.

Mais les intendants, incorruptibles qu’ils sont, vous dénonceront pour prévarication !

Certainement pas ! Vous pensez bien que ce genre de choses se suggère à l’oral, d’homme à homme, loin des oreilles indiscrètes. Et puis, que ne ferait-on pas pour éviter d’aller dans l’établissement pourri qui a la plus mauvaise réputation comptable et le logement de fonction le plus moche, là-bas à l’autre bout de la région... Croyez-moi, les gestionnaires, anciens SASU et AASU, seront nos meilleurs alliés.

Que feront les agents comptables ?

Vous savez que dans un département, il n’y a qu’un seul véritable agent comptable, le TPG. Le contrôle comptable des établissements scolaires passera donc aux services du Trésor, et comme ils n’y comprendront rien, on sera tranquilles un bout de temps.

Ils ne sont pourtant pas idiots !

Ces comptables dans l’établissement, c’était pas pratique parce qu’ils pouvaient tout savoir de bout en bout sur les opérations financières. Avant qu’un fonctionnaire du Trésor, qui passera en moyenne trois heures par semaine et par collège, se demande si l’opération X a bien été passée au meilleur prix et dans les meilleures conditions, on aura eu le temps de blinder le dossier.

Et vous pensez que vos pairs, présidents d’exécutifs de régions et de départements, appliqueront généralement cette recette ?

Moi, ce que j’en pense... Je ne vais pas bêtement mouiller les copains ! Mais si vous, vous avez l’espoir d’être gouverné par l’Abbé Pierre, suggérez-lui de se présenter !

Merci, Monsieur le président.


Vous n’êtes pas obligé d’y croire, mais on y est déjà presque.
Rappel : les conseillers généraux sont TRES SOUVENT réélus... à peu près à vie. Le pouvoir corrompt, mais ça s’aggrave avec le temps.

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